De Baptismales

Baudouin dédie ce poème à son fils, Yves. 

Un cri des entrailles profondes

Pauvre enfant médité par le corps de ta mère durant ces mois         
d'affre et de haine,
ces mois ensanglantés où la guerre forcène,
A l'heure de notre joie bien des douleurs s'éplorent,
et ta mère soudain songe aux mères des morts.
Alors ce cri éclate et clame du tréfonds dilacéré de sa chair:
"Mon enfant, mon enfant, si je savais que leur guerre
     un jour ou l'autre te prendra,
j'aimerais mieux tout de suite t'étouffer dans mes bras."

Ce cri, ce cri sauvage de la mère douloureuse,
j'éprouve que ce cri est sacré.
Il est fort comme la vie et comme elle il est vrai,
plus vrai que les grands mots et les maximes creuses
dont les prophètes cossus de notre monde abreuvent
les mères dont ils se gaussent en leur happant leurs fils.
Les pauvres femmes s'agrippent avec toutes leurs forces
à ces mots, à ces mots encore, à ces justifications fausses,
car il faut bien qu'elles croient au prix du sacrifice,
qu'elles croient avoir donné leur chair pour quelque chose. 

Mais ce cri de la Mère douloureuse est seul vrai,
parce qu'il sort de la chair encore déchirée,
parce qu'il est la voix de la Vie créatrice,
de l'éternelle et féconde Matrice
qui nie et qui renie la mort.

Oh! ce cri je voudrais le faire vibrer fort,
je voudrais, pour l'enfler de ma voix, posséder la voix la plus         
ample, que l'espace le renvoie comme les échos d'un temple,
je voudrais en faire tinter les oreilles aux puissants du monde,
ce cri désespéré des entrailles profondes. 

Et ta mère disait encore en t'étreignant
"J'accepterais d'avoir par toi le coeur saignant
si tu devais te prodiguer martyr et mourir pour une haute cause,
mais pour ça, mais pas pour leur infecte chose!" 

Et il me semble maintenant, en regardant le monde par les yeux
     de la Mère,
Il me semble que s'il y a des réalités qui valent plus
qu'une vie humaine,
du moins, il n'y en a guère,
et quand ils entament leurs guerres,
ils ne se demandent jamais si tant de morts valent bien la peine.
Combien une vie, combien une seule de ces vies,
vaut plus que ne valent ensemble toutes leurs piètres idéologies!
quand on songe à la perfection de ce corps humain,
quand on songe, mon enfant à tes petites mains,
au miracle de souffrance et de joie qui te crée,
au coquillage délicat et fini de tes claires oreilles nacrées.