Jeanne Broussan-Gaubert

Reviendra-t-il? (extrait).  Paris: Crès, 1918.

Par les confidences que lui firent beaucoup de ses collègues, cette absence de jeunes êtres dans leur vie était le secret de leur mélancolie. Quelques-unes regrettaient dans le célibat le mari, l’amant, le compagnon, presque toutes regrettaient l’enfant. Beaucoup de ces théoriciennes de salon qui vivent, en effet, sans enfant seraient surprises d’entendre bien des professeurs, généralement féministes sincères, déplorer leur existence sans une fille ou un fils à élever, à câliner, à aimer, à former. Renée, sous ce rapport, ne se différenciait pas de la plus humble paysanne. Ce désir de l’enfant, sans l’idée de l’amour, est un sentiment si vrai, si éternel, qu’il a été magnifié dans toutes les religions par le symbole de la Vierge-mère. Certes, Renée aimait Fernand pour lui-même, mais elle l’aimait déjà dans ses futurs enfants. 

Cette guerre est pour les féministes, le signal d’une défaite si, dès maintenant sages, c’est-à-dire sans révolte contre les nécessités de l’existence telle que Dieu, la nature et les circonstances l’ont créée, elles s’appuient sur l’homme pour parvenir à leur but. Seules, elles ne peuvent rien. Leur rôle est d’être des épouses et des mères, sans négliger l’œuvre sociale. Oui, le rôle des femmes est lourd. Cultivées, intelligentes, elles doivent s’intéresser au sort de la France, participer au relèvement des ruines matérielles et morales causées par la guerre et doivent également, puisqu’ils y tiennent, être jolies, parées et souriantes.

Renée, qui avait lu beaucoup d’articles et que cette question passionna plusieurs mois auparavant, comprenait qu’on avait demandé leurs opinions à des savants, à des philanthropes, à des académiciens. Elle la voyait résolue par cette femme qui hochait la tête, approuvait les raisonnements, mais serrait le petit être en répétant ces simples mots qui pour elle exprimaient sa défaite suprême et son suprême orgueil: “Que voulez-vous, c’est mon enfant.”