La publication en 1929 de l'Hôtel du Nord d'Eugène Dabit (1898-1936)

La publication en 1929 de l'Hôtel du Nord d'Eugène Dabit (1898-1936), artiste, journaliste et écrivain, est saluée unanimement par le public et les critiques. Son poème ci-dessous paraît en 1931 dans Nouvel Age, la revue littéraire éditée par Henri Poulaille et dédiée à l'avancement de la culture prolétarienne. Le poème de Dabit, comme ceux d'autres soldats, rapporte passivement l'angoisse et les pertes de la guerre.

Poème

(écrit pendant la guerre)

J'ai été soldat à dix-huit ans
Quelle misère
De faire la guerre
Quand on est un enfant.

De vivre dans un trou
Contre terre
Poursuivi comme un fou
Par la guerre.

J'usais mon coeur
Aux carrefours crucifiés
Oh mourir dans la plaine
Au soir d'une sale journée.

J'ai connu des cris,
La haine
Des souffrances longues comme une semaine.
La faim, le froid, l'ennui.

Trois années ivres de démence
Plus lourdes à porter qu'un crime
Ma jeunesse est morte en France
Un jour de désespérance.

Tous mes amis ont péri
L'un après l'autre
En quelque lieu maudit
Est notre amour enseveli.

Défunt Lequel le parisien,
Masse et Guillaumin d'Amiens,
Pignatel dit le marseillais
Tous endormis à jamais.

On les a jetés dans un trou
N'importe où
D'en parler mon coeur saigne
Ah que la mort est cruelle

Mon Dieu était-ce la peine
De tant souffrir.
Las je reviens humble et nu
Comme un inconnu,

Sans joie sans honneur
Avec ma douleur
Les yeux brûlés
D'avoir trop pleuré

Pour mes frères malheureux
A ceux qui sont aux cieux
Contre la guerre
A ma mère
Adieu.