Henri Dalby

Henri Dalby collabore aux Cahiers idéalistes français. Son volume, Poèmes de la vie mordue paraît en 1922. Dans "Poème de la fin des guerres", écrit au front peu avant l'Armistice, Dalby peint la vie mélancolique des survivants de la guerre.

Poème de la fin des guerres

Vous qui pourrissez sous la terre,
Les soldats,
Les soldats de la pauvre guerre
Tombés dans un grand geste inutile des bras,

De vos bras qui n'ont pas saisi la seule chance
Eparse en l'air, autour, de vivre malgré tout,
Entendrez-vous ce soir de vous parler vos mères,
Ce soir où ce sera la paix.

Car ce sera la paix, un soir...
Il y aura
Des voitures parmi les rues
Qu'emplira le refrain dégorgé sous les gares
Des existences revenues.

Il y aura
Des couples étonnés aux tables des terrasses
Qui se diront des mots nouveaux,
Des mots dispersés dans l'espace
Sur tous les vents de la mitraille
Et que rassemblera l'âpre fanal des verres,
Alcools aux souvenirs durcis rongeant leur gaine,
Feu pareil dans les coeurs brûlant les mêmes portes
Sous l'ouragan des retrouvances.

Il y aura vos têtes mortes
Dans le même air immense où sonneront ces voix.
Il y aura
Des arbres aux chemins grandis de vos poussières
Et des fleurs inconnues
Avant vos sangs versés.

Il y aura la voix étroite de vos mères
Où passeront les récits de vos jours,
Les fantômes vêtus des mots de vos enfances,
Vos premières communions
Et les prénoms de vos cousines,
Et les numéros de vos armes,
Et la date où parvint votre dernière lettre.

Il y aura cent fois la minute présente,
Mille fois, des milliers de fois,
Dans les retours.
Il y aura cinq cents récits de vos enfances,
Où mille fois cinq cents
Dans les retours.

Il y aura
Une minute de la vie
Dans les cent mille retrouvances.
Il y aura
Cent mille fois vingt ans de vie
Dans le moment du souvenir.

Et, cependant, que serez-vous?
Entendrez-vous ce soir le récit de vos mères...
Oh! qu'à jamais la terre ait bouché vos oreilles,
Les soldats!...

Que vous ne mourriez pas
A nouveau
De l'inanité des passés
Devant une seconde immense du présent.

 

Ardennes, 8 novembre 1918