Lucie Delarue-Mardrus

Toutoune et Son Amour (extrait). Paris: Albin Michel, 1919.

“Décidément, Toutoune, tu ressembles tout à fait à la tante Dorothée.”

Au moment d’aller se coucher, comme la petite venait embrasser sa mère, celle-ci se prit à examiner sa fille comme si elle ne l’avait jamais vue. Elle lui releva ses nattes, sans doute pour juger l’effet de coiffure, pencha la tête de côté, puis dit d’un ton complaisant:

“Tu as de jolis yeux, Toutoune…”

L’enfant sursauta, frappée au coeur. Elle comprit en cette minute que, jamais de sa vie, elle n’entendrait quelque chose de pareil. La gorge serrée, elle eut le désir d’exprimer un peu son immense plaisir, un peu de son étonnement ravi.

Un roman civil en 1914 (extrait).  Paris: Bibliothèque Charpentier, 1916.

Les infirmières s’activaient, souriantes. La bonne humeur respectueuse des soldats, d’une part, l’attention émue de celles qui les soignaient de l’autre, et voici que “le monde” et “le peuple,” étroitement rapprochés, se comprenaient, peut-être pour la première fois.

En dépit de quelques erreurs et de quelques abus, quel beau socialisme la guerre aura fait vivre tout au long de la France, dans les salles nacrées des hôpitaux!

Mais moi, je ne voulais pas l’épouser. Cela déplaisait à ma liberté. Il y a dans le mariage une convention, une officialité, quelque chose qui n’existe que pour les autres. Tout ce qui concède, tout ce qui prévoit les autres est faiblesse, donc humiliation. Puisqu’il m’avait choisie et que je l’avais choisi. Nous n’avions besoin de l’approbation de personne. …

Nous n’avions besoin de l’approbation de personne. Mais il m’était impossible de léser quelqu’un. Je ne pouvais pas lui appartenir tandis que sa famille l’entourait. Il aurait fallu nous cacher de vous tous. C’était une humiliation plus grande que le mariage. (Italics in original.)

“Il se sentait physiquement et moralement humilié près de cette fille droite et supérieure.”

Ainsi, tandis que, perdu dans l’horreur des tueries, un homme fait avec bonheur son grand devoir, lui, Francis le boiteux, Francis le réformé, Francis l’incapable accomplit lentement, lâchement l’œuvre de voler cet homme dans ce qu’il a de plus cher et de plus sacré.

…Mais je l’aime, moi!