Genold

Sous le pseudonyme Genold, Eugène Camille Délong (1882-1954)

collabore à plusieurs périodiques pacifistes et socialisants, dont Notre Voix, qu'il fonde et dirige. "Aux hommes" paraît dans son numéro de juin 1919. Après la guerre, Délong s'en va en Indochine, où ses articles publiés en faveur du gouvernement font courir le bruit qu'il a été indicateur de police pendant la guerre, chargé de lui signaler les activités pacifistes de ses amis (Pia, 47). Dans le poème qui suit, Délong incite ses lecteurs à résister à la guerre, malgré les risques d'exécution ou d'emprisonnement. 

Aux hommes

Tous ceux qui prendront l'épée
périront par l'épée.
(Evangile selon Matthieu)

Troupeaux obéissants,
troupeaux d'hommes en guerre
les uns contre les autres, sans savoir pourquoi.
Pour la Patrie, pour Dieu, pour l'Humanité,
ou pour d'autres fantômes:
Ecoutez-moi.
Non pas tous ensemble, comme une foule, comme une
armée
mais chacun, comme un homme écouterait un homme:

Tu ne peux pas te faire la guerre à toi-même
tu ne peux pas désirer ta propre mort...
Tu crois te battre pour la Patrie,
mais la patrie est en toi, la patrie n'est qu'en toi.
Tu offres tes combats à Dieu,
mais Dieu n'est qu'en toi, le seul dieu c'est toi.
Tu crois en tuant sauver l'Humanité,
mais l'humanité c'est toi, ce ne peut être que toi...
Soldat, ô assassin de toi-même
L'Univers n'existe qu'en toi.
Chaque ennemi abattu
est un peu de toi-même qui meurt,
le sang du troupeau est un peu de ton sang,
et chaque jour qui passe et chaque mort qui tombe
te rapproche du néant.

Je sais, tu vas me dire:
il y a les lois, les juges et les gardes
les prisons et les bagnes
et les pelotons d'exécution.
Je sais.
Il y a tous les mauvais chiens
qui mordent au jarret les bêtes au troupeau.
Mais je sais aussi
que tu n'as pas su choisir entre les risques.

Ecoute:
Je ne t'enseigne point l'apostolat, ni le martyre
mais simplement la Vie
et l'amour de toi-même.
Tu ne possèdes pas et je n'ai pas moi-même
la grandeur des statues éternelles.
Je ne te demande point d'être l'Exemple
dressé avec ta chair, malgré ta peur,
pour l'immortel enseignement
de tes frères les hommes...
Je ne t'enseigne point l'apostolat, ni le martyre
mais simplement la Vie
et l'amour de toi-même.
Ne sais-tu pas que le monde est immense?
Et puisque tu n'as pas cet héroïsme
qui grandit les esclaves et abat les tyrans
puisque ton égoïsme est si petit
qu'il ne sait qu'obéir, et ruser, et feindre,
servir sans foi, se défiler sans colère:
Humblement, modestement,
Va-t'en!