Ivan Goll

En 1914, Ivan Goll (1891-1950) commence une carrière littéraire longue et illustre. Goll, un Alsacien bilingue, écrit principalement en allemand jusque dans les années 20, quand il adopte définitivement le français. Son oeuvre la plus célèbre, Jean sans terre, paraît en 1936. Pendant la guerre, Goll publie un petit volume de poèmes en prose, Elégies internationales, 1915, et le remarquable Requiem: Für die Gefallenen von Europa, 1917. Goll édite après la guerre deux volumes de poésie pacifiste: une traduction française de son anthologie allemande et une traduction allemande d'un volume semblable d'origine  rançaise. Parmi ceux qui collaborent à ce dernier, intitulé Das Herz Frankreichs, figurent Baudouin, Dujardin, Guilbeaux, Jouve et Martinet. "Elégie" paraît dans Demain, la revue de Guilbeaux, en septembre 1916. 

Elégie 

La bataille sans s'affaisser
Titubait dans l'orgie et dans le sang:
Son trop gros ventre l'entraînant
Jusqu'où les canons sur sa nuque
Hargneusement tombaient comme des marteaux mécaniques;
Là, tel un sanglier dans les glands frais,
Elle croula...

Ce soir, de la bataille il ne resta
Que le bras noir et suppliant de leur dernier soldat
Tout droit.
Mais il suffit pour fracasser le ciel qui avait fui,
Comme une seule torche folle
Suffit pour fracasser la cage de la nuit.

Un bras: le geste
D'un homme, qui aurait prié et pardonné;
L'ombre d'un aigle qui frôlait la terre;
Un cri transi d'effroi,
Comme une sépulture,
Eternellement
Noir parmi le soleil;
Un bras brandi brave la mort des siècles.