Marie Lenéru

La Paix (extrait).  Paris: Grasset, 1922.

Mais je demande aussi les femmes, parce que je leur garde une mission, la mission qui est proprement la leur, qui est la mienne, celle du souvenir. …J’en suis arrivée à cette conviction, une seule chose est nécessaire, une seule chose suffirait, mais celles dont l’humanité est peut-être incapable: ne pas oublier…Ah! si chacun avait vu…si une seule de ces horreurs, qui ont passé par milliers devant notre lâche imagination, appartenait vraiment à la vie réelle de chacun de nous, si nous nous en sentions vraiment les vengeurs responsables… On assassine vos frères dans votre maison, et vous écoutez derrière votre porte loquetée….

J’ai fait le sacrifice de mon bonheur en ce monde. Et pour que Dieu ne permette pas, tant que je serai en vie, qu’on tue encore une fois les enfants des autres… j’ai fait l’aveu de n’en avoir jamais à moi.

Mais vous êtes au tout premier rang de la défense nationale… L’homme chargé de prévoir, d’ordonner les futurs sacrifices, les futures hécatombes, si vous voulez, ne peut vivre dans l’atmosphère incrédule du pacifisme. Il ne puisera pas dans les yeux d’une femme en deuil, dans les bras d’une femme révoltée, l’assurance, le calme, la certitude d’accomplir l’œuvre nécessaire, l’œuvre indispensable, la mission suprême du salut!