Jehanne d' Orliac

La Captive de Gand (extrait). Paris: Flammarion, 1917.

Ainsi s’installèrent-ils à la Kautre, tous trois réunis, pour l’accomplissement de l’œuvre. Tous trois non seulement réunis mais unis en un indissoluble amour, me semblent former la trinité parfaite du monde spirituel. Hubert le père, le créateur; Jean le fils, l’exécuteur; Marguerite, l’esprit par la douceur qu’elle dégage, la tendresse qu’elle impose. 

Y a-t-il donc des gestes indépendants de nos vouloirs? Des vouloirs évadés des consciences? Des consciences qui ne contrôlent plus…

Quels idéologues, atteints de myopie, ont pensé que se battre équivalait à s’épargner; se civiliser, c’est augmenter les moyens de se détruire pour avoir ceux de se sélectionner. Il n’y a qu’une justice, celle qui donne la permission de vivre à celui qui a le pouvoir de vaincre, cela en paix comme en guerre, dans le passé comme dans le présent. Hors de cette évidence, il n’y a que ténèbres.

“J’ai sauvé l’Agneau et j’ai sauvé mon honneur aussi… et j’ai rassasié mon coeur… ”

Un grand blessé (extrait).  Paris: Flammarion, 1917.

Et Christiane connut la décevance des grands élans; elle connut la pitié infinie et la honte de n’avoir jamais, jamais pensé à ceux-là qui se sacrifient. …Elle eût voulu devenir leur servante, et sous le voile blanc, sous la blouse blanche emprisonner ses membres et ses pensées, disciplinés et asservis. 

Si Mario ne m’avait pas été arraché, sans doute nous aurions lié nos vies. J’étais sa chaleur et son inspiratrice. Et parce que mon être ainsi composé lui plaisait, j’aurais gardé mon expression définitive près de lui.

Trop vive est la plaie de chacun pour songer à la toucher, nous ne saurions déterminer en cette minute le seul nécessaire. Françoise, vous demandez aujourd’hui un pardon qui vous serait demain peut-être une offense. Et moi qui ne sais pas si je pourrai désormais vivre avec vous ou loin de vous… comment faire mon choix! …Christiane a eu pitié… sait-elle ce que c’est l’amour? Et ne confond-elle pas? Pour vous deux… bientôt dépouillé de ma vareuse stricte, en habits civils je serai non plus un blessé, un grand blessé mais un manchot, que chacun y songe… Je vivrai, cela, je le sais… Petit Ambre, soyez bénie, pour m’en avoir donné l’orgueil.