Jean-Paul Samson

Le poète et traducteur Jean-Paul Samson (1894-1964) est étudiant en même temps que Jean de Saint-Prix, et comme son ami, Samson fait une licence de philosophie. Les deux jeunes hommes participent à plusieurs projets, y compris la création en 1917 de La Belle Matineuse, un périodique de courte durée, qui met leur philosophie de résistance passive en vue. Socialiste dans la tradition de Jaurès, Samson considère comme absurde toute participation à la guerre, et en 1914, il essaie de promouvoir cet argument à Londres parmi les jeunes socialistes. Samson vit à Zürich pendant la guerre, et y passe le restant de ses jours. "A Jaurès", écrit en 1916, ainsi que d'autres poèmes pacifistes qui paraissent dans divers périodiques durant les hostilités, sont recueillis dans L'Evasion difficile et figurent dans un numéro spécial des Humbles en 1922.

A Jaurès

"Avenue Jean-Jaurès"...Oh! salut à ton nom
Jaurès, à ton beau nom sonore dans la ville,
A ton beau cher grand nom, plus beau que les clairons
Qui vont sonnant et resonnant les haines viles,
Salut, ô Jean Jaurès, hélas! beau nom, grand nom...

Car c'est ainsi que j'ai croisé ta rue sonore
Avec un livre sous mon bras,
Et sans que je comprisse encore
Très bien, ce livre sous mon bras,
Je l'ai senti, aussi, sonore,
Qui vibrait aussi sous mon bras.

Double miracle! en ce matin clair et sublime,
Où j'allais m'étonnant d'une joie merveilleuse
Que je sentais onder par l'étendue heureuse,
Et en moi s'élargir comme une rose intime;
Car ô miracle surprenant et nécessaire,
Ce livre que j'avais, à sa page première,
Redisait, grand Jaurès, ton beau nom paternel,
Ton beau grand nom inscrit à sa première page.
Ton beau et cher grand nom, ardent comme un coup d'aile,
Ton nom, lourd comme un astre à l'aube d'un autre âge!

Ah! si jamais les morts gardent quelque pensée,
Si quelque chose d'eux, dans la nuit insensée,
Resaisit un lambeau de lumière et d'amour,
Peut-être as-tu frémi, ô Jaurès, en ce jour,
D'entendre, --un nom sacré, qu'on écoute ou proclame,
Est comme une urne d'or où s'éternise une âme,--
Peut-être as-tu frémi de joie, ô bon Jaurès,

D'entendre se répondre autour de ma jeunesse
Ton beau nom de prophète et ton nom de jeune homme,
Car ce livre, accompagnant mon allégresse,
Car ce livre, c'était celui de ta jeunesse
Que je lisais afin de devenir un homme!

Hélas! pourquoi faut-il, afin que ce nom rie
Au coin des rues noires et lasses,
Et vienne mettre un peu de beauté et de vie
Auprès de la douleur qui passe,
Hélas, pourquoi faut-il, pourquoi faut-il, hélas,
Qu'une main sacrilège, asservie à la haine,
D'abord ait dû rayer, sur les murs noirs, un autre
Nom, un nom d'une lueur sereine,
Aussi beau que le tien, aussi beau que le nôtre,
Le nom de l'Allemagne exilée et lointaine?

Mais je veux que ce jour, où se sont répondues
Les nominales voix, de la rue à mon livre,
Soit le gage d'un temps plus clair et moins reclus
Où peut-être il sera permis presque de vivre;
Et qu'enfin éclora l'heure de trop de joie
Où nos coeurs entendront, comme un double bruit d'ailes
De deux anges venant par une même voie,
La divine rumeur, à jamais immortelle,
De ces deux noms ardents d'une seule allégresse,
De vos deux noms redits par la foule fidèle,
O cher nom d'Allemagne, ô grand nom de Jaurès!
Unis au même rythme, élargi, fraternel