Ce poème d'Alfred Varella

Ce poème d'Alfred Varella, exceptionnel par son refus anarchisant de toute institution, paraît dans Notre Voix de mai 1919. Varella continue à publier ses poèmes dans les petites revues et les journaux locaux parisiens, tels La Butte rouge, le journal communiste du 18e arrondissement.

Chanson du Gas qui se refuse /sic/ 

I

Ah! voilà tant de mois et tant d'ans
que, dos courbé, les yeux ardents,
les poings fermés, la haine aux dents,
je vais et m'use;
Ah! voilà tant de mois et tant d'ans
qu'aujourd'hui, j'entends crier dans
ma cervelle ces mots stridents;
"Je me refuse!" 

II 
Je me refuse à vos raisons,
à vos chants, à vos oraisons
rappelant trop vos trahisons,
vous que j'accuse!
Je me refuse à vos raisons,
qui laissent grandes les prisons
ouvertes sur nos horizons...
"Je me refuse!" 

III
Je me refuse à vos drapeaux,
à vos tragiques oripeaux,
à vos bannières pour troupeaux
que l'on méduse!
Je me refuse à vos drapeaux,
à vos étoffes en lambeaux
qui font du vent...sur nos tombeaux...
"Je me refuse!" 

IV
Je me refuse à vos palais,
à vos monuments--beaux ou laids--
qui semblent lourds et maigrelets
à notre Muse...
Je me refuse à vos palais,
où grouillent, nains et gringalets,
les pouvoirs chétifs des Valets...
"Je me refuse!" 

V
Je me refuse à vos autels,
à vos Apôtres immortels,
à vos Saints pour chambres d'hôtels
où l'on s'amuse!
Je me refuse à vos autels,
à vos dieux menteurs qui sont tels
que les veaux d'or sacramentels....
"Je me refuse!" 

VI
Je me refuse à vos bouquins,
à vos Ecrits pour arlequins,
signés de la main de faquins
sans une excuse...
Je me refuse à vos bouquins,
à vos cuirs, à vos maroquins
--cléricaux ou républicains--
"Je me refuse!"